Suite de notre enquète "Quel impact a la crise sur l'écosystème start-up en France ?", après les réponses d'entrepreneurs Michel de Guilhermier, Jean-Baptiste Rudelle, Jean-Michel Planche, Pierre Chappaz, Gilles Babinet, et d'un grand partenaire Julien Codorniou,voici le très attendu avis d'un capital risqueur reconnu sur la place.
Philippe Collombel, Partner du fonds Partech International, est un des capitaux risqueurs les plus expérimentés et les plus rreconnus de la place. Son portfolio parle pour lui : Dailymotion, Goojet, Goom, Qype, Netsize, Total Immersion, Cartesis, Meiosys,...
Son éclairage sur la crise est particulièrement intéressant. N'hésitez pas à le lire en entier (Non Philippe ce n'est pas trop long! ;-) ).
Philippe, pour toi quel comportement vont adopter les investisseurs face à la crise avec leurs start-up en portefeuille et vis-à-vis de nouveaux investissements ?
D’abord merci de nous donner la parole car les VCs ont peu l’occasion de faire autre chose que de réagir ponctuellement à des sujets d’actualité.
Je vous propose de répondre en trois temps ; expliciter le comportement des VCs et ce comportement s’appliquera dans une large mesure à la fois aux nouveaux investissements et aux entreprises déjà en portefeuille puis détailler ce qui sera spécifique dans chaque cas.
L’ensemble de l’écosystème anticipe que l’accès au capital va être plus difficile dans les 18 prochains mois. Ceci mérite d’être explicité en rappelant certains faits communs à tous les marchés mais en insistant aussi sur certaines particularités françaises.
Il est clair que les VCs vont avoir la tentation de ralentir leurs investissements pour faire durer leurs fonds plus longtemps. Pourquoi ? parce que les VCs (et particulièrement ceux qui lèvent de l’argent auprès d’investisseurs institutionnels, pour faire court les FCPR dans le jargon juridique français) vont avoir eux-mêmes du mal à se financer. C’est déjà sensible chez les VCs qui finissent leur fund-raising en ce moment.
Mais le consensus c’est que le fund-raising va être très difficile en 2009 ; donc la tentation est grande de rogner sur les réserves ( c'est-à-dire sur l’argent non encore investi mais réservé pour les sociétés existantes en portefeuille) et de différer certains nouveaux investissements pour faire durer les fonds 6 à 12 mois de plus pour éviter de sortir dans le blizzard. Il y a un effet pervers collectif à cette rationalité limitée ; l’effet d’encombrement en sortie de crise, lorsque ceux qui ont ralenti rejoignent ceux qui devaient se trouver sur la route à ce moment… mais ce facteur joue.. c’est incontestable.
Je ne m’étendrai pas ici sur les raisons pour lesquelles trouver de l’argent va être difficile pour les fonds. Je me contenterai de citer le problème de la surallocation mécanique du Private Equity par rapport aux actions cotées du fait de la chute des marchés publics amplifiée pour le venture par les risques de problèmes des gros LBO.
A moyen terme , je suis un peu plus optimiste car les investisseurs institutionnels vont devoir réviser le profil de risque des différentes classes d’actifs ; c’est désormais un lieu commun de dire que le risque inhérent à promettre 20% de ROE aux actionnaires pour des grands groupes a été mal pricé ; il devient clair que le risque de certains LBO a été mal évalué…tout cela pourrait se révéler favorable aux fonds de venture performants. Pour parler encore plus clairement, entre octobre 1999 et aujourd’hui le CAC a perdu plus de 30% de sa valeur….vous constaterez que je n’ai pas choisi la période de folie de début 2000 mais malgré tout ce chiffre est éloquent. Faire 6 points de mieux que les marchés cotés cela est jouable…. Evidemment je force le trait mais pas tellement car tout le monde sait aussi que battre l’indice est très difficile….
Pour autant cet effet de glaciation a des limites. Les fonds doivent continuer de faire leur métier et tous les VCS savent que les plus belles pépites se dénichent et se construisent en période de crise. Par ailleurs, il y a beaucoup d’argent disponible pour les entrepreneurs sur le marché français en raison de l’existence des FCPI, qui eux ont des contraintes assez strictes en termes de respect des périodes d’investissement. La sanction du non respect est lourde fiscalement. Cet effet de rareté, d’ailleurs très relatif, du capital risque de pousser à la baisse les valorisations. Mais je ne suis pas d’accord avec certains commentaires alarmistes que j’ai lus. La valorisation des projets early stage est restée raisonnable au cours des années passées et il n’y pas de raison qu’elle s’effrondre car cela mettrait en péril les pourcentages de détention par les entrepreneurs à l’issue des premiers tours et donc leur motivation; il y a quelques excès récemment amis c’était lié à l’afflux de l’argent « ISF » et ce fut ponctuel ; seul certains projets de late stage ont donné lieu à des comportements irrationnels mais ils furent rares et ce n’était pas en France.
Ensuite, le marché va s’ajuster par la diminution prévisible du nombre de projets.. pas forcément des bons projets… cela rééquilibrera la balance en faveur des entrepreneurs.
Parlons maintenant des start-ups en portefeuille.
J’ai été frappé par l’alignement des Vcs et des entrepreneurs dans les dernières semaines. Tout le monde s’est mis au travail, Excel a tourné intensivement et les budgets ont été révisés avec pour objectif pour essayer de faire durer le cash plus longtemps.
Je vois deux raisons majeures à la rapidité de réaction de l’écosystème ; tout d’abord un effet d’expérience. Les entrepreneurs sont beaucoup plus expérimentés et beaucoup ont survécu à la précédente récession. Une anecdote personnelle : lors du précédent cycle, je me souviens d’avoir bataillé plusieurs mois (plus d’un an en vérité) pour convaincre un entrepreneur qu’il fallait qu’il passe d’une logique de croissance à une logique de profitabilité…frustrant et épuisant. Rien de tel cette fois car les entrepreneurs savent réagir. Seconde raison : il s’agit d’un choc exogène à l’industrie de l’innovation. Je m’explique : en 2001, les conséquences étaient très différentes selon les secteurs dans lesquels opéraient les start-ups ; aujourd’hui, l’effet récessif d’une chute de la demande est général que ce soit en B to B ou en B to C ; même si il faut faire affiner l’analyse ; j’y reviendrai.
J’attire néanmoins votre attention sur le fait que la crise n’est date pas du mois de septembre. Le secteur du retail enregistre une chute historique de la demande depuis le mois de mai, les recettes publicitaires nettes (le brut ne veut plus rien dire) de tous les medias à l’exception d’internet avaient baissé au premier semestre 2008. Pour être clair, les bons entrepreneurs épaulés par les bons vcs étaient sur un registre de prudence depuis Q2. La règle non écrite des start-ups de faire partir les 15% les moins efficaces s’était durcie mais cela se faisait au cas par cas sans médiatisation aucune.
Autre facteur de prudence : le tarissement prévisible des financements bancaires. A ma grande surprise, dans mon portefeuille, certaines start-ups bien gérées mais pas encore nécessairement rentables avaient obtenu jusqu’à 500 k€ de prêts bancaires ces dernières années de certaines banques courageuses mais finalement pas téméraires. Je n’ai aucun doute que ces entreprise vertueuses n’aurons plus accès à ces prêts n’en déplaise au discours du gouvernement. Il faudrait qu’Oseo fasse un effort considérable et assouplisse ses critères mais cet organisme en lui même réduit depuis des années à décaler le versement des aides pour jongler avec les contraintes budgétaires. Et je suis assez réaliste sur l’infinie habileté des grands groupes à capter l’immense majorité des mesures de soutien au refinancement des prêts qui se met en place.
Pour autant, il serait ridicule de tout arrêter.
Dans la crise qui s’annonce les start-ups ont un avantage compétitif majeur par rapport aux grands groupes et ont comblé leurs manques. L’avantage compétitif est double: agilité et réactivité d’une part, détermination et esprit de conquête d’autre part.
Pour parler du premier avantage compétitif, je suis sûr que cette crise va accélérer certaines mutations en cours ; deux exemples très différents ; l’orientation des recettes publicitaires vers des supports ou le return sur investissement et le ciblage des audiences et meilleur au détriment des grands medias traditionnels. Dans le processus de destruction créatrice à l’œuvre, certains groupes vont devoir passer beaucoup de temps sur la partie destruction…. Tant mieux pour les entrepreneurs habiles et inventifs qui seront mixer les sources de revenus. Autre exemple, toute l’innovation autour l’efficacité énergétique va perdurer ; les start-ups seront prêtes lors du prochain cycle de hausse de la demande et de flambée des prix.
L’esprit de conquête et la détermination sont bien connus, nul besoin d’y revenir mais il va jouer en faveur des start-ups dans cette période de pénurie budgétaire généralisée.
Et cette fois, les start-ups entrent en crise avec un capital humain bien meilleur ce qui est nouveau. J’ai la conviction que les start-ups ont désormais comblé leur retard par rapport aux grands groupes en ce domaine.
Finissons par les nouveaux investissements
La clef de lecture est la même que précédemment. A mon avis, cela va accentuer la tendance à l’œuvre depuis quelques années de favoriser les projets très efficients dans l’utilisation du capital. Cela dépend évidemment des secteurs mais aussi de l’état d’esprit des entrepreneurs. Il y parfois de différences de 1 à 3 entre des entreprises directement concurrentes. Et puis certaines structures de marché sont défavorables comme par exemple dans le logiciel applicatif. Il reste certes des niches mais le jeu SAP/Oracle/Microsoft rend la donne compliquée…Mais il ya de là encore des exceptions..Par exemple un Total Immersion qui a mené une réflexion approfondie sur son business model et qui est en phase de croissance très rapide…le jeu est plus ouvert dans cas en infrastructure software mais alors il faut aller impérativement aux US.
On peut ajouter que, temporairement, les projets de seed vont être sans plus difficiles à financer mais cela se régulera aussi.