Jean-Michel Planche, CEO de Witbe, (Enquète: Quel impact a la crise sur l'écosystème start-up en France ?)
Jean-Michel Planche, fondateur et président de Witbe aujourd'hui, est une des figures de l'internet français. Créateur d'Oléane revendu à FT pour faire partie de la branche Pro de FT, Jean-Michel s'implique dans différents mouvements pour aider à mieux développer l'Internet et ses enjeux (AFNIC, CCRSCE, FING ...) et l'entreprenariat en France.
Pour toi quel comportement vont adopter les investisseurs face à
la crise avec leurs start-up en portefeuille et vis-à-vis de nouveaux
investissements ?
La plupart vont appeler leurs start-up à couper dans leurs dépenses, pour singer ce qui se fait aux Etats-Unis. Seulement généralement quand une startup aux US dépense 10 $, en France, nous dépensons 1 €. Donc j'espère qu'ils sauront raison garder car tout couper n'est pas la solution, du moins pas pour tout le monde.
Soit le business modèle est viable et les revenus vont venir et au pire, c'est un glissement de 6 à 12 mois. Soit et c'est malheureusement le cas pour beaucoup, les revenus sont alignés sur la ligne d'horizon ... et là, il n'y a pas d'issue. Soit dans des cas très rares, il y a une technologie remarquable et/ou une expérience utilisateur fantastique et l'avenir n'est pas rose, mais possible ... aux Etats-Unis.
Par contre je vois un autre problème pour les VC. On le sait, les sociétés ont besoin de moins de cash pour démarrer. Les VC doivent donc être plus "productifs" pour un même niveau d'investissement. Ce qui est difficile et donc peu à peu le financement d'early stage et de premier tour ne se fait plus ou mal. Mais le nouveau problème est celui de la sortie. Nous avons l'habitude en France de composer avec la liquidité des marchés financiers. Aux Etats-Unis, c'est plus récent. En clair beaucoup de projets sont en train de se monter sans VC pour aller directement se revendre aux grands acteurs en place. Pour les entrepreneurs, c'est potentiellement plus rentable que de tenter un cycle complet. (3 tours + IPO)
Les VC doivent donc être là et ce n'est pas simple. Ils ne peuvent pas se contenter d'attendre car la vraie vie continue.
Enfin pour les VC "castors juniors", business as usual ... au lieu de faire mal, ils ne feront rien, (pas d'investissement ou alors à des conditions impossibles) ce qui ne changera pas grand chose, sauf pour les entrepreneurs qui gagneront du temps.
Quelles types d'entreprises sont pour toi les mieux armées pour
s'en sortir , des exemples ?
Celles qui ont une équipe, un produit et des clients et donc un chiffre d'affaire et le nec le plus ultra ... rentable !
Celles qui ont de véritables assets "industriels" et pas seulement de l'audience qui va être de plus en plus difficile à monétiser.
C'est pour moi clairement la fin des modèles économiques basés sur l'audience, même Google montre des limites, nous entrons dans l'ère de l'utilité, de l'attention et de l'émotion.
Et enfin celles qui ont su trouver leur place dans la sphère BtoB ...
L'histoire des modèles hyper-scalable, du BtoC qui s'envolent jusqu'au ciel où tout se fait par le Web avec 1/2 développeur en Inde, je n'y crois pas un instant.
Réussir dans le BtoC va devenir aussi difficile que dans le BtoB et ce n'est que justice.
Est-ce la fin des start-up Web 2.0 sans modèle encore établi
(genre Seesmic) ?
Je ne vise pas Seesmic ici, mais oui je pense que c'est la fin de celles qui sont sur le business modèle de l'audience ou pas de modèle du tout (sauf, je le répète, à avoir un savoir faire technologique exceptionnel ou développé une "user experience" fantastique) et n'ont pas prouvé leur capacité à gérer de l'attention.
Quel conseil donnerais tu à un jeune entrepreneur qui n'as pas
levé de fonds à ce jour ?
Retourne travailler. Si tu as vraiment besoin d'argent, tu en lèveras, si ton projet est vraiment bon. Si tu n'en lèves pas, c'est que ce n'était pas le moment ou que ton projet n'est pas assez bon. Ne perd pas de temps et d'énergie, vient alors rejoindre d'autres projets, il y en a de très beaux en France ... (Ndlr : Witbe recrute ) ensemble on est plus fort et c'est parfois beaucoup plus motivant et intéressant (même financièrement) que de galérer seul dans son coin. On peut très bien être entrepreneur chez les autres, dans sa vie de tous les jours.
Et pour conclure ton pronostic sur la durée de la crise : violente
mais courte (redémarrage en quelques mois) ? profonde et donc longue ? ...
Violente et profonde mais pas forcement longue ... le business, le vrai doit continuer.
Regarde, nous (Witbe) sommes sur un créneau fondamental de la qualité des systèmes d'informations et des infrastructures et des services triple play. Ce sujet a été éclipsé par les startups du Web 2.0, dont la qualité n'est pas le soucis premier.
Tant mieux pour nous, cela nous a permis de faire notre place sans trop de concurrence. Tu penses vraiment que c'est un sujet en crise et que la qualité n'est pas un absolument critique ?
Sans système d'informations qui fonctionne, plus de Google, mais surtout plus un seul avion ne quitte le sol, plus un seul train ne peut partir, c'est la fermeture immédiate de toutes les banques, plus une voiture ne peut circuler. Sans des infrastructures de qualité, plus de télévision, plus de téléphone, plus d'internet chez toi ... tu y crois vraiment ? tu crois que les gens en ces périodes vont tomber dans le piège de tout couper et ne pas continuer à investir sélectivement pour augmenter leur compétitivité ?
Il y a deux poids, deux mesures. Ce qui est bon pour certaines startups du web 2.0 ne l'est pas dans la vraie vie. Je vois mal Airbus rogner sur la qualité des métaux pour faire deux sous d'économie qui pourrait les tuer demain. Je ne dis pas que tout va bien dans la vraie vie, car nous allons être géné et nous n'avions pas vraiment besoin de cela. Mais la plupart des vraies sociétés sont obligées de continuer de délivrer leurs services et elles ont compris que la qualité était l'avantage compétitif qui leur permet de faire la différence, aujourd'hui et plus encore demain.