Jean-Baptiste Rudelle (Enquète: Quel impact a la crise sur l'écosystème start-up en France ?)
Jean-Baptiste Rudelle, fondateur et CEO de Criteo (qui après un premier tour de 3 millions d'€ a levé en janvier 7 Millions d'€), est un serial entrepreneur. Il a notamment fondé et dirigé K-Mobile Kiwee, qui est rapidement devenue l’un des leaders en Europe des services de téléchargement sur mobiles.
Criteo, spécialiste du ciblage comportemental pour le commerce électronique, interviens à la fois sur la publicité comportementale pour recruter de nouveaux prospects et sur le merchandising comportemental pour augmenter la transformation et le panier moyen.
JF : Pour toi quel comportement vont adopter les investisseurs face à la crise avec leurs start-up en portefeuille et vis-à-vis de nouveaux investissements ?
JBR : On devrait assister au même phénomène qu’après l’éclatement de la bulle en 2000. La crise va obliger les investisseurs à une gestion beaucoup plus sélective de leur portefeuille. De fait, ils vont couper plus rapidement les lignes en situation de faiblesse et concentrer leurs liquidités pour soutenir leurs champions. Les nouveaux investissements seront aussi nettement plus rares et concentrés sur du late stage.
JF : Quels types d’entreprises sont pour toi les mieux armées pour s’en sortir, des exemples ?
JBR : Par définition, toutes les entreprises qui sont déjà cash flow positif ont un énorme avantage en termes de pérennité. De manière générale, les mieux armés sont celles qui ont un business model avec une grande part de couts variables indexés sur le chiffre d’affaire. Typiquement un Meetic et plus généralement tous les sites transactionnels et de e-commerce peuvent facilement piloter leur budget acquisition en se concentrant sur les canaux les plus rentables. A l’opposé, les modèles de service type SSII risquent de beaucoup souffrir.
JF : Est-ce la fin des start-up Web 2.0 sans modèle encore établi (genre Seesmic) ?
JBR : C’est en tout cas la fin des start-up dont le seul modèle économique est de se faire racheter. Pour plusieurs années, le marché du M&A va devenir hyper sélectif et risque de se limiter à l’acquisition de cash machines. Pour les autres, il va falloir compter sur ses propres forces pour passer cette période. Cela sera particulièrement délicat pour les sites dont le modèle repose uniquement sur la monétisation publicitaire de leur audience. Ils doivent s’attendre à une baisse sensible de leur CPM et ajuster leurs coûts fixes en conséquence.
JF : Quel conseil donnerais tu à un jeune entrepreneur qui n’as pas levé de fonds à ce jour ?
JBR : A très court terme, il faut lever très vite tout l’argent possible tout de suite. Comme pour la bulle Internet, il existe un décalage entre les US et l’Europe sur la gravité de la crise. Il est probable que les investisseurs européens réagissent plus lentement et qu’ils soient encore disposés à sortir le carnet de chèque pour quelques mois. Une fois cette fenêtre fermée, il va falloir gérer au plus près sa trésorerie : cash is king ! Et si possible s’orienter vers des business model où les investissements sont progressifs.
JF : Et pour conclure ton pronostic sur la durée de la crise : violente mais courte (redémarrage en quelques mois) ? profonde et donc longue ?
JBR : La seule manière d’avoir une sortie de crise rapide serait de faire une purge violente du système. Pour des raisons politiques évidentes, aucun gouvernement n’y est disposé. On risque au contraire d’assister à un lent dégonflement de la bulle du crédit, avec un certain nombre d’établissements financiers qui resteront pour longtemps sous perfusion publique. C’est exactement ce qui s’est passé dans les années 90 au Japon. Ils ont mis dix ans à s’en sortir. On peut toujours espérer que ce sera plus rapide pour nous. ;-)