[Erwan Tymen, au passage du Raz-de-Sein. Photo PYL]
Au matin de ce deuxième jour, la météo n'a pas changé: pluie et pétole. Après le briefing matinal, Mich' Q (Michel Quistinic), notre célèbre directeur de course, a envoyé l'aperçu (un pavillon conique rayé rouge et blanc). La veille, il nous a promis de nous envoyer sur le long parcours de 200 milles avec la bouée SN1 - à l'entrée du chenal de la Loire - malgré la pétole annoncée. S'il le fait, c'est la grève générale ! Mais la rumeur court déjà que c'est le parcours n°2 qui est dans les tuyaux, avec le tour de Belle-Ile au programme, avant d'aller virer le Raz-de-Sein et de mettre le cap sur Morgat - beaucoup plus raisonnable... En attendant, nous voilà tous en ciré, à patienter sous la pluie, et à boire des cafés en terrasse à Locmiquélic.
Vers 11h00, l'aperçu est affalé et nous prenons la mer. Le vent souffle entre 5 et 7 nœuds et tourne vers le sud-est (à droite, donc) tout au long du convoyage vers la ligne. Il doit reprendre de la gauche et revenir, après une phase de pétole, au nord-est. Avec Erwan, nous nous creusons la tête pour choisir le bon côté du plan d'eau. A droite, vers Groix, car le vent doit se caler au SE ? A gauche, vers Etel, pour se protéger du courant ? Nous prenons encore un vent pendant la procédure : il nous semble qu'il est déjà au 140 et qu'il ne pourra pas aller beaucoup plus loin vers le SE. Surtout, il baisse encore, à moins de 5 nœuds, dans la minute avant le coup de canon...
Le départ est donné dans une pétole blanche, franchement déprimante : ça va être long, très long. Le coup de canon résonne et nous sommes loin de la ligne ! Le courant est fort et il nous faut tirer deux bords pour passer la ligne ! Un peu contraint, mais aussi parce que finalement, c'est la meilleure solution avec cette pétole, nous partons à gauche. Très vite, la flotte partie à droite disparaît dans la brume. Matossés à bloc à l'avant à l'intérieur, avec Erwan assis sur la plage avant, nous nous déhalons lentement vers la pointe de Gâvres.
La vitesse est bonne, le vent oscille, nous hésitons à renvoyer à droite, puis nous nous ravisons. Finalement, nous décidons de continuer : il faut traverser une régate corpo du BTP, avec des bateaux sous grand voile seule, en stand by le temps du déjeuner et de la pause du vent. La situation est surréaliste, nous traversons une flotte où les gens plaisantent, déjeunent, écoute la musique. Nous tentons vaguement de leur faire comprendre que nous sommes en course, mais ils ont du mal à nous croire ! Un temps, le vent tombe complètement, nous songeons à mouiller, puis un souffle nous permet de sortir de cet embouteillage. Le vent prend de la droite progressivement : pas bon du tout pour nous ! Mais il en prend tellement en se calant à... l'ouest, que nous faisons la cuillère ! Bientôt, nous sommes en route directe sur les Galères, la cardinale au sud de Belle-Ile que nous devons virer. Du génois, nous passons au gennak, puis au code 5 puis au spi !
La vitesse est bonne, nous lâchons Gontran For Ever, Qualitel, les Pogo 2 autour de nous. Tout va bien à bord, la situation est vraiment incroyable : notre option s'avère ultra-payante. Les bateaux partis à droite sont loin derrière, on aperçoit à peine leurs spis ! Seul l'incontournable Nicolas Bunoust sur son 488 (vainqueur du Mini-Pavois et de la Transgascogne 07, son copropriétaire Lionel Rubio de Terran vient de gagner la Sélect 08) nous résiste en faisait route directe sous notre vent quand nous avons préféré monter un peu sur la route pour éviter d'être aspiré par la Teignouse, le passage entre Quiberon et Houat, où le courant est très fort.
C'est d'ailleurs Nico qui passe les Galères en tête des séries, quelques minutes avant nous, et derrière les quatre protos de tête. Le spi tombe aux Galères, nous réalisons un joli peeling avec le gennaker et entamons le tour de Belle-Ile. Abrités du vent, nous peinons un peu, nos adversaires directs reviennent sous le vent. Nous renvoyons le spi, puis l'affalons en arrivant sur la pointe du Skeul, où nous passons au près. Nous voyons Rémi Aubrun et son joli proto Manuard englué dans une zone de pétole, nous décidons de renvoyer au ras de la côte chercher un petit effet de pointe et le contre-courant qui doit nous envoyer sur la route de Penmarc'h. "On vire quand on peut lire la plaque d'immatriculation du camping-car en haut de la falaise !" Et ça paye, énormément. Nous recroisons largement devant Davy et son Gontran rayé rouge et blanc, Amaury et son Qualitel rose et quelques autres dont notre ami le Tip Top 616 de Damien Guillou, celui-là même qui nous fit quelques misères à la Sélect. Bunoust continue un peu plus sous le vent, fidèle à son cavalier seul qui lui a si bien réussi.
Pour entamer cette remontée, c'est à la côte qu'il faut aller. Nous y retournons un peu tardivement, et la concurrence revient poussée par le courant. Ils sont dans notre arrière quand, juste sous le vent du sémaphore du Talut, auprès duquel nous nous pointons, le vent tombe brutalement en adonnant. Vite, le spi est renvoyé, on empanne et on parvient, miraculeusement, à s'extirper de la pétole, en compagnie du Tip Top. Les autres restent scotchés au pied de la falaise : nous ne les reverrons plus. Une partie de la course se joue là.
Mais rien n'est encore joué, même si nous sommes tout heureux de nous en être aussi bien sortis depuis le départ. La nuit tombe, et le vent accompagné de pluie avec... Nous décidons de grimper vers le nord et de partir vers la droite : n'est ce pas de là que le nouveau vent doit venir, comme l'annonce depuis hier soir la météo ? Le Tip Top nous suit et nous avons l'impression d'entamer une partie de match-racing dans la nuit noire et sous la pluie. Bientôt, les lumières des protos et de Nicolas Bunoust disparaissent dans la nuit. Pour nous, c'est un joli coup, et on comprend mal pourquoi le reste de la flotte nous laisse prendre la droite aussi facilement...
Au petit matin, quand le vent s'établit légèrement, le verdict est sévère : des voiles apparaissent au loin, mais aucun des bateaux autour de nous n'était avec nous hier soir... Cela veut dire deux choses : 1) les autres sont largués ou loin devant 2) nos nouveaux compagnons qui étaient loin, très loin, derrière sont revenus... Dans les deux cas, c'est un brin inquiétant ! Le Tip-Top est toujours là, nous le passons et nous nous faisons doubler au gré des bouffes et des bascules. On manœuvre énormément, après quelques tranches de sommeil d'une heure chacun son tour. L'ambiance à bord est toujours aussi excellente, l'ami Erwan à l'humour au second degré toujours aussi ravageur est un compagnon de régate idéal...
En même temps, on en mène pas très large : à Penmarc'h, tandis que les concurrents se pointent auprès du sémaphore, on comprend qu'on est loin de la tête de la course. Déception, petit coup de barre. Le vent commence à se caler en force et en direction : une dizaine de nœuds de... nord-ouest ! Et la météo qui continue d'annoncer du N-NE... Consolation, le ciel s'est dégagé. Un bord vers la gauche de la baie d'Audierne, et le vent tourne à droite. Un bord à droite et il tourne à gauche... On tricote à l'envers. Notre vista d'hier nous a quitté !
Sous génois (nous avons laissé l'inter au port pour avoir la plus grande voile d'avant possible, choix très judicieux) nous progressons vers le fond de la baie d'Audierne. Avec la gauche, inutile de penser à revirer : on croiserait derrière tout le monde. Autant continuer. Sauf que, et ils seront nombreux à nous le rappeler, c'est écrit dans les livres, ça ne passe jamais au fond de la baie d'Audierne ! Oui mais voilà, à bord d'Altaïde-Moovement, on aime le jeu. Et tant qu'à prendre une nouvelle tôle, autant jouer notre carte à fond. Voilà ce qu'on se dit, plus par défaut qu'autre chose tandis que les dernières plages du Cap SIzun s'approchent de plus en plus de nous... C'est un peu déprimant de voir qu'il va bientôt falloir virer derrière tout le monde : nous sommes les plus en bas, les plus à gauche de la partie de la flotte qui évolue dans la baie.
Et puis, devant nous, à quelques centaines de mètres du bord, on commence à distinguer une bande d'eau un peu plus foncée que le reste de la mer : du vent. Il faut pousser jusque là, tant qu'on y est. En arrivant, on a l'impression d'être des chercheurs d'or tombés sur une pépite : de la droite ! Le vent refuse de 30 bons degrés ! Hallelujah ! En plus, il se renforce. Nous virons dans l'allégresse et, bientôt, toute la flotte s'aligne sous notre vent ou croise derrière nous... Incroyable ! C'est un sacré coup de poker et on est en train d'encaisser grave...
Le vent se renforce encore, nous sommes en route directe sur le Raz, sur une mer plate au pied des falaises. Le spectacle est sublime, d'autant que nous sommes en train de refaire une bonne partie de notre retard. Le vent fraichit tellement que certains prennent des ris ou changent de voile d'avant. Nous sommes à deux doigts de le faire, mais en reculant du chariot et en blindant le pataras, ça passe. A très grande vitesse, en plus : derrière les trois Pogo dans notre sillage peinent à suivre le rythme...
Le passage du Raz de Sein est spectaculaire : noyé dans la brume, avec un joli clapot. Nous enfilons les cirés et capelons les harnais, on ne sait jamais, dans cette bouilloire infernale que nous traversons à 10 nœuds sur le fond, entraînés par les dernières heures de courant favorable. Longtemps, nous nous sommes demandés si nous passerions avec la pétole, nous voilà rassurés, nous ne passerons pas de seconde nuit en mer.
Nous virons dans le bouillon, matossés à bloc. "C'est gennak", lâche Erwan impertubable. Allons-y pour le gennak, après un temps d'hésitation tout de même : à notre vent, des bateaux montent au-dessus de la route, tel le Tip-Top, ou glissent en-dessous, tel Antoine Debled. Vite, un check de la nav : on a le bon cap, c'est bien gennak. Pour la 546e fois de la journée, le gennaker monte, vite. C'est le bon choix, nous rattrapons un concurrent en série, Bertrand Delesne et son Mistral 6.50, qui ne l'envoie que lorsque nous sommes à sa hauteur. Au vent, le Tip-Top, dépourvu de gennak (il a préféré prendre un grand génois pour faire du près dans la pétole) ne peut suivre ; sous le vent, Antoine, sous gennak aussi, ne parvient pas à faire du cap.
Arrivé à Basse-Vielle, il faut rouler et repartir au près. Devant, on distingue des voiles : des protos ? des séries ? A bord d'Altaïde-Moovement, on s'interroge... Et si, finalement, on était pas si mal au classement ? Pour l'heure, un peu galvanisés quand même on entame un long bord de près vers Morgat. On affine les réglages, Erwan matosse tout ce qu'il peut et s'arrache au rappel, bras tendus. Derrière nous, deux adversaires à contrôler, le Tip-Top, réputé ultra-rapide au près, et le Mistral, pas manchot au près dans le médium non plus... Quand l'un d'entre eux vire, il faut décider quel bateau laisser partir dans son coin. Nous alternons entre les deux, un peu inquiets quand ils partent sous la falaise...
Mais rien n'y fait, nous avons une speed d'enfer et Erwan s'arrache comme jamais dans les virements, matossant tous le matériel en un éclair à chaque virement de bord. Je n'ose pas regarder à l'intérieur, ce doit être un sacré chantier ! La ligne est proche, un dernier virement dans l'axe de chacun de nos adversaires et nous franchissons l'arrivée, épuisés mais ravis de cette belle bagarre. Au passage nous demandons combien de bateaux de série sont arrivés : "Le 678", répond Mich' Q à la VHF. Nous sommes deuxièmes !
Pfewwww ! Celle-là, elle est belle ! On revient de loin. Et on se souvient de ce dicton fondamental de la régate : "C'est à la fin de la foire qu'on compte les bouses". En clair, une course est finie quand la ligne d'arrivée est franchie !