[photo Erwan Tymen, prise à bord de Pikès, Pogo n°167 de légende, Sélect 6.50 2001]
En cette fin d'après-midi, donc, les gennaker sont envoyés, sous un ciel se chargeant en nuage avec une pluie qui s'intensifie. Le vent est au NO et monte. Rapidement, nous sommes flirtons avec les 10 noeuds, ça déboule et c'est bon !
Derrière moi, Vincent Barnaud sur son Pogo n°472 SGTS me rattrape tandis que le vent monte encore. Avant la nuit, j'affale le génois, puis je prends un ris. Quelques encablures derrière moi, Vincent doit affaler son gennak pour prendre un ris. Des protos me rattrapent, c'est leur temps. A la nuit, nous marchons à plus de 10 noeuds, le vent monte encore, à plus de 20 noeuds. Les milles défilent.
Aux alentours de minuit, le vent grimpe encore, à plus de 25 noeuds, avec des claques à 30... Pas question de lâcher la barre, juste le temps d'avaler une banane et une bouteille d'eau. La nuit est assez claire, grâce à une quasi pleine lune qui diffuse un halo derrière les nuages qui défilent à grande vitesse. Le speedo s'affole, tapant régulièrement les 15 noeuds. Le bateau décolle sur les vagues et plonge dans le trou en soulevant de grandes gerbes de flotte qui retombent sur le barreur. Je suis trempé, mais il faut s'accrocher, continuer à avaler les milles - un peu au-dessus de la route.
Vers 2 ou 3 heures du matin, je ne sais pas trop, les premiers messages d'avarie à la VHF tombent : Thomas Ruyant, sur son proto 247, a fait un gros vrac, perdant sa drisse de capelage : plus de gennak pour lui comme pour Vincent Barnaud. Beaucoup plus tôt, c'est Yves Le Blévec qui avait fait demi-tour, safran cassé. Sur son splendide proto Lombard Actual Interim, Yves n'a décidemment pas de chance, il a démâté quelques semaines plus tôt. D'autres coureurs en Pogo, comme Oliver Bond ou Lucas Schroder rencontrent des problèmes de pilote et rentrent aussi sur La Rochelle.
Ca commence à devenir chaud pour moi, mais je suis bloqué à la barre. Je me dis que le pilote ne tiendra pas dans de telles conditions, et je veux continuer en mode turbo, les autres ayant dû lever le pied. Il faudrait que je prenne un ris et que je démêle le bout de l'emmagasineur du gennak pour pouvoir rouler, mais le vent ne m'accorde aucune pause. Je commence à avoir mal partout, je suis trempé, j'ai faim et j'ai sommeil. Seul le stress des hautes vitesses me maintient en éveil...
Enfin, au petit matin, encore dans la nuit, le vent se calme temporairement à 25 noeuds. Pilote, prise du second ris en vitesse, démélage du bout du gennak, le pilote tient, je peux m'accorder une petite pause et annoncer à la VHF à mes petits camarades que je continue sous gennak, histoire de marquer un point dans la guerre psycholgique ;-)
Le vent remonte à 30 noeuds, parfois 34, mais sous 2 ris et gennak, Altaïde-Moovement allume comme jamais : record à battre 17, 98 noeuds ! Je continue comme ça jusqu'au matin, vers 9h00. Avec le jour, on découvre l'état de la mer, blanche, croisée, démontée. C'est carrément impressionnant ! On se demande comment on a pu envoyer là-dedans !!!
Je suis cuit, claqué, mort, je tremble de froid et de fatigue : je suis en train de payer mon manque de préparation physique et la semaine de boulot intense avant d'arriver à La Rochelle. Vers 10h00, une nouvelle molle, toute relative, me permet de rouler le gennaker. Sous GV 2 ris, il me faut 45 minutes pour ranger le gennak et pour procéder au changement du génois plein de flotte contre le solent. En Pogo 2, cela reste définitivement la pire manoeuvre que je connaisse !
C'est l'heure du repos. Sous solent et GV 2 ris, mon fidèle 543 file à plus de 10 noeuds sur la route. Pendant que l'eau bout et que j'avale quelques biscuits, j'entends soudain une voix qui m'appelle. "Pierre-Yves !". Bon sang, je suis sujet aux hallucinations auditives quand je suis fatigué, mais là c'est assez clair. "Pierre-Yves !!!". Je sors la tête et Olivier Cusin, sur son proto 460 Negawatt, est là à deux longueurs sous le vent, hilare ! Il me dépasse rapidement, juste le temps d'un grand sourire et d'un "qu'est ce que tu fais là ?" qui indique que je suis sans doute dans le paquet de tête avec les protos...
Le ventre plein, le ciré à sécher, je vais dormir, épuisé. J'enquille plusieurs siestes de 30 à 40 minutes tandis que le vent reste calé à 30 noeuds. Curieusement, au vu de l'état de la mer, personne ne renvoie le gennak, alors que c'est faisable. Mais trop de fatigue, j'ai pioché dans mes réserves, je n'ai plus de jus...
Vers 15h00, une voile bleue pointe derrière moi : Koen Van Esch, le hollandais, est là ! Ca me donne un coup de fouet : il est sous gennak, je fais de même, bousculé par le retour du Flying Dutchman (il est sponsorisé par KLM...) L'écart se stabilise en même temps que le vent refuse progressivement en tournant vers l'ouest. A 17h00, 24 heures après avoir enroulé les Baleineaux, Gijon est à 11 milles : j'ai parcouru 220 milles en 24 heures !
Le vent mollit, on entend le bateau pointeur à la VHF et la voix de Richard Mérigeaux, ancien président de la Classe Mini, qui annonce les bateaux déjà passé à Gijon : Sam Manuard est passé à 16h15, Isabelle Joschke n'est pas très loin. Tout à coup, le 607 annonce qu'il a passé la bouée à 18h00 : c'est Francisco Lobato, le Portuguais sur son Pogo BPI. Petit coup au moral, je pensais être plus près des premiers en série après tous les efforts de la nuit... Ce que je ne sais pas, et le bateau accompagnateur arrivé en retard en Espagne non plus, c'est que Nicolas Bunoust, sur son Pogo 488, est passé en 3e position au scratch, devant Francisco... et moins d'une demi-heure après le leader en proto : quel numéro !
Nous finissons l'atterrisage sur Gijon dans la pétole avec une mer encore formée. Derrière, les autres reviennent, je les entends à la VHF. A quelques centaines de mètres de la bouée, un bateau rouge vient virer sous mon nez : Alexis Hupin, sur son Pogo rouge, semble débarquer de nulle part ! "C'est pas une bonne blague belge ?", rigole-t-il à la VHF... ;-) Sacré Alexis : jeune papa, il vient de Suède pour courir avec nous !
Là où c'est une blague de beaucoup plus mauvais goût, c'est qu'il va me falloir plusieurs heures pour enrouler cette foutue bouée ! Pendant ce temps, les autres reviennent, je vois leurs voiles se rapprocher. Tous ces efforts pour ça !!! A 20h41, je passe la bouée et tente de repartir vers le large, dans la pétole. Mes adversaires passent la bouée dans la demi-heure qui suit, alors que je ne les ai pas entendu de la descente. Un léger souffle d'air d'ouest nous propulse hors de portée des grains de Gijon pendant la nuit. Puis, vers 5h00 du matin, la pétole totale règne. Devant moi, Matthieu Sannié sur son Pogo 487 Orange et, un peu au vent, Thomas Bonnier, sur Architecture Elementaire n°485 : tous les deux des compagnons de notre centre d'entraînement AOS de Lorient..
En attendant, c'est la pétole totale. Et je n'ai pas dormi de la nuit.
Ordre de passage à Gijon :
1. 679 - Samuel Manuard sur Sitting Bull (proto) / 26 avril à 16h10’48s
2. 667 – Isabelle Joschke sur Degremont Synergie (proto) / 16h20’
3. 488 – Nicolas Bunoust sur Je relève le défi pour la terre (1er Série) / 16h32
4. 618 – Peter Laureyssens sur Ecover / 17h00
5. 607 - Francisco Lobato sur BPI / 18h00
6. 614 – Franck Colin sur Quiétude Promotion - Super U de Magne / 18h45
7. 551 - Raoul Cospen sur Dalet Digital Media System / 18h51
8. 260 – Olivier Cusin sur Negawatts / 19h20
9. 454 – François Salabert sur Areas Assurances / 19h22
10. 606 – Donatien Carme sur Groupe 1 / 19h50
11. 247 – Thomas Ruyant sur Région Nord Pas de Calais / 20h17
12. 621 – Erwan Le Roux sur Dephemerid Trois / 20h20
13. 543 – Pierre-Yves Lautrou sur Altaïde Moovement / 20h41
14. 589 – Koën Van Esch sur KLM Flying Dutchman / 20h57
15. 504 – Alexis Hupin sur Manu Poki / 20h57
16. 455 – Antoine Debeld sur Azimut Communication / 20h58
17. 472 – Vincent Barnaud sur STGS.fr / 21h10
18. 588 – Alvaro Lopez Doriga sur Cantabria 2007 / 21h10
19. 487 - Mathieu Sannié sur Orange Mini / 21h15
20. 464 – Romain Le Gall sur Karantez 6 / 21h30
21. 417 – François Duguet sur Crédit Agricole Skipper Challenge / 21h41
22. 485 – Thomas Bonnier sur Architectures élémentaires / 21h50
23. 628 – Quentin Monegier sur Tabon / 21h58
24. 422 – Erwan Abalain sur dijs.net / 22h05
25. 537 – Tristan Pouliquen sur Bickwick Une place pour chacun / 22h30
26. 574 – Tom Braidwood sur Wombat / 23h10
27. 575 – Calyton Burkhalter sur Acadia / 23h25
28. 460 – Elodie Riou sur Kpmg / 23h30
29. 480 – Véronique Loisel sur de L’espace pour la mer / 23h38
30. 616 – Sylvain Pontu sur Demi-Clé / 23h40
31. 303 – Hervé Fabre sur Team Work Management / 27 avril à 00h09
32. 552 – Sébastien Rogues sur Kaïros / 00h20
33. 250 – Emeric De Vigan sur Deux cent cinquante / 00h28
34. 482 – Bénédicte Graulle sur Barreau de Paris / 02h19
35. 229 – Jean-Baptiste Daramy sur Danse avec les loups / 3h00
36. 579 – Benoit Sineau sur Cachaca / 3h05
37. 344 – David Rawlinson sur Oceanchallenge.com / 3h10
38. 322 – Pierre Brasseur sur Peintures Ripolin / 4h50
39. 403 – Juan Carlos Sanchi Mari sur Spasmos / 6h14
40. 328 – Mathieu Guillon Verne sur DCNS – Lino / 7h05
41. 384 – Grégory Magne sur Daddy on board / 8h39
42. 520 – Jacques Valente sur Telekurs Twing / 8h40
43. 641 – Rémy Cardona sur R&O – Asep / 10h50
44. 672 – Alexandre Scrizzi sur Phoenix / 11h08
45. 457 – Sébastien Bordiec sur Garcimore / 12h00
46. 498 – David Le Carrou sur Le Tréport / 12h42
47. 236 - Sandrine Bertho sur Hamtaro / 16h40
48. 332 - Alex Mevay sur Genasun / 19h22
49. 318 - Fabienne Robin sur Petite Louve / 19h35
50. 98 - Caroline Rebuffat sur Ma Douce / 20h22
51. 339 - Pierrick Laine sur Elima / 21h20