[Le 543 Altaïde-Moovement, juste avant le pont de l'île de Ré, poursuivi par le 589 (en bleu) et le 588 (au fond à droite). Photo Olivier Blanchet]
Mercredi 25 avril 9h00 : je n'ai pas très bien dormi, ça m'arrive assez souvent avant une course en fait. Un peu de stress, d'enjeu, on part quand même pour 500 milles non-stop en solo, c'est la première course de la saison et il y a une traversée du Golfe de Gascogne à la clé...
Je suis un peu à la bourre, il me reste deux ou trois trucs à checker, je ne suis pas encore dans le jus, débarqué 48 heures plus tôt quand tous les autres sont là depuis le samedi. Mais, bon, je finis par partir après un dernier brief météo avec notre coach, Tanguy, qui procure ses derniers encouragements au moment où le zodiac m'emmène vers la sortie du port des Minimes.
Au moment où je m'éloigne du ponton, j'ai comme un flash-back : 6 ans plus tôt, la scène était un peu la même, avec beaucoup plus d"émotion et de public : je partais pour la Mini-Transat...
Dehors, devant les Minimes, le vent est de nord-ouest, entre 8 et 10 noeuds. Tranquillement, nous descendons vers la ligne de départ, essayant de réfléchir à la stratégie de départ : une remontée contre le vent en direction du pont de l'Ile de Ré, puis le tour de l'île avant de basculer vers le Golfe.
Tout à coup, je me souviens que j'ai à bord un document qui date de ma participation au Challenge Mini en 2000, qui s'était déroulé à La Rochelle. C'est Laurent Brélivet, l'un de mes équipiers sur Teo - L'Express-Okapi, mon Pogo 1, qui l'avait apporté : une étude du plan d'eau de La Rochelle effectuée par les gens de Météo France et du Pôle France de La Rochelle. Secteur par secteur, les vents sont étudiés. Par vent de NO, le document est clair : il faut privilégier la droite. Ca me va, en plus, il y aura moins de courant.
Me demandez pas pourquoi, mais, fort de cette stratégie bien définie, je vais quand même aller m'enfermer au bout de la ligne côté bouée au moment du départ, à 12h28. La ligne est très à gauche et je veux en profiter, mais ce n'est pas l'idéal pour repartir à droite, sauf à partir babord ! Mais avec 64 bateaux sur la ligne et une heure de pénalité si l'on vole le départ, ce n'est pas très raisonnable...
C'est comme ça que je me retrouve lancé pleine balle mais à 25 secondes du départ. Trop vite, beaucoup trop vite, je dois empanner en catastrophe et me retrouve effectivement babord devant toute la flotte qui déboule tribord amures ! Je dois revirer pour tenter de passer la bouée, très encombrée par les concurrents qui ont du mal à la passer... Re belote, il faut ré empanner et se faufiler babord amures en croisant les retardataires. Cette fois, je pars à droite, pour de bon.
Et la droite est bonne, je m'en rends compte assez rapidement. A plusieurs reprises, j'y retourne : il y a plus de pression, moins de clapot et de la droite au bout du bord. En arrivant vers La Pallice, le port industriel de La Rochelle, il faut quand même renvoyer vers la gauche, c'est le moment de vérité : je croise devant Isabelle Joschke, et une centaine de mètres derrière Yves Le Blévec, leader de la flotte. En clair, je suis premier bateau de série !
Deux concurrents m'accompagnent de près - l'espagnol Alvaro Lopez-Doriga et le hollandais Koën Van Esch - ils croisent devant à deux reprises mais, tandis qu'ils doivent faire un dernier bord de recalage, je parviens à prolonger mon bord vers le pont en rasant La Pallice... et j'embouque le pont 10e au scratch et 1er série ! Voilà qui met en confiance...
A la sortie du bord, tout le monde lofe et, rapidement, je me retrouve dans les fumées des protos de devant. Je repars à gauche vers l'île de Ré. A trois reprises j'effectue cette manoeuvre et deux fois sur trois je creuse l'écart sur mes deux concurrents. Au fond à droite, le portugais Francisco Lobato et Erwan Dubois, deux calibres, prolongent le bord vers le continent, qui va être assez payant.
J'avale mon sandwich acheté avant le départ. Le vent mollit un peu avant de reforcir tandis que le ciel se couvre et une petite pluie commence à tomber. Virement de bord vers le phare des Baleineaux, une petite adonnante me permet de le passer, pas loin des déferlantes qui lèvent sur le plateau rocheux qui l'entoure. Impressionnant, mais ça passe !
Je rentre le way point de Gijon dans le GPS : il est environ 17 heures, le port espagnol est à 231 milles de là. Le vent monte à 15 noeuds, le ciel est de plus en plus couvert, il faut envoyer le gennaker. Je suis en tête mais la concurrence est toute proche. Je suis déjà bien cuit par tous les efforts déployés depuis le départ. Les choses sérieuses commencent...